Thinkart présente une exposition monographique de Abderrahmane Doukkane : JIDARIAT (i.e. inscription murale). Doukkane montre ici trois séries d’œuvres, qui représentent des lieux,La ferme abandonnée(2010-2012), ou des personnes,Taisez-vous I(2013), mais aussi les deux ensembles dansSouffle d’un corps(2011-2015), disposées en grilles. Ces photographies ont pour point commun de contenir un récit qui se déroule sur une séquence d’images. Un récit où le photographe est l’unique créateur d’images, jusqu’à sa série la plus récente.
DansSouffle d’un corps, la situation est suffisamment stylisée pour que nous comprenions qu’il s’agit d’une « mise en scène » dont le propos est d’exprimer la détresse psychologique ; si ce n’était que cette mise en scène commence par un fait réel. Lorsque Doukkane s’empare du lieu, il y découvre des murs délabrés, humides, moisis, chargés de graffitis, d’incisions, et d’écritures en langue arabe. Un poème de Nizar Kabbani, Aânafou houb’ini’ chtouhou (i.e. L’amour le plus violent que j’ai vécu), un autre de Khadija El Ouarrak, Damaâ ou ainkisar (i.e. Larme et brisure) et d’autres fragments de phrases qui crient l’exhaustion du cœur et de l’esprit. Rien dans ce qui est écrit ou dessiné ne permet de reconnaître l’œuvre d’un homme ou d’une femme. Qu’importe, puisque l’artiste envisage l’un et l’autre comme un corps conscient de son dernier souffle. Et c’est ce corps comme outil de résistance qu’il évoque. L’idée de cette série a germé au lendemain du décès tragique de Tarek Bouazizi, ce tunisien de 27 ans qui s’est immolé par le feu après des tentatives avortées auprès des autorités compétentes.
DansLa ferme abandonnée, Abderrahmane Doukkane présente une série de trente photographies réalisées à Bouskoura à diverses saisons, pendant près de trois années, à l’intérieur d’un périmètre de dix kilomètres. L’endroit est envahi par les broussailles, les animaux et les carcasses de voitures mais il fut autrefois le lieu où Doukkane a grandi. Seules quelques traces sont visibles, les ruines de son enfance. Ces photographies semblent traduire les dilemmes de l’artiste. D’abord l’annulation de la différenciation entre intérieur et extérieur. Un bâtiment désigne un dedans et un dehors. Lorsqu’il tombe en ruine, cette distinction n’est plus. Comment cette assimilation influence-t-elle la manière dont on prend possession des choses? Ensuite, en nous montrant que les sites changent en permanence, en fonction du temps, des saisons et de la lumière, et que chaque visite en offre une nouvelle image. Cette série montre à quel point notre perception d’un espace est influencée par les changements subtils de la lumière - que l’artiste accentue volontairement par des images très saturées - et par l’œuvre du temps. Enfin, l’idée que les forces de la nature sont indomptables et en perpétuel mouvement est ici exprimée avec force. Doukkane est, rappelons le, très engagé dans la préservation de l’environnement naturel de la région de Bouskoura.
Les photographies deTaisez-vous Itémoignent de la pertinence sociale de l’image photographique. Doukkane fait de son appareil un outil social et politique. Une manière de démontrer que l’art permet d’aborder de manière engagée et probante les questions majeures qui se posent à notre société actuelle. Face au vide laissé par nos élus, Doukkane cherche à capter le désastre humain. Ce projet prend pour objet des personnes et les conséquences qu’ont sur elles des situations de crise ou des injustices sociales. L’artiste remplace le discours par des faits qu’il documente par des portraits pris sur le vif de personnes en souffrance.
Les photographies de Abderrahmane Doukkane sont autant de pièces à conviction contre l’oubli, le déni et pour le devoir de mémoire.
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